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Article de journal

En attendant que les temps changent

Date

2022-11-24

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Il en est des politiques d’immigration aujourd’hui comme des politiques concernant les femmes à une autre époque : on décidait sans elles ce qui était « bon » pour elles et on pouvait dire n’importe quoi à leur sujet.

Publié le 24 novembrePartager
Cette observation fort juste est celle de François Crépeau, professeur de droit international public à l’Université McGill, qui s’intéresse à ces questions depuis près de 40 ans.

Un exemple de « n’importe quoi » ? Même s’il n’y a rien de criminel à demander l’asile ou à être un travailleur migrant sans statut, les États ont criminalisé la migration irrégulière dans leurs discours, souligne l’ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants.

De tels discours sont possibles parce que les principaux concernés n’ont pas leur mot à dire. « Comme les migrants ne votent pas, ils ne peuvent ni punir ni récompenser les politiciens. Les politiciens peuvent donc dire n’importe quoi à leur sujet. Et il n’y a pas de pushback de la part des citoyens. »

Résultat ? « Dans la plupart des pays, les politiques d’immigration sont faites comme les politiques à l’égard des femmes il y a 80 ans, explique M. Crépeau. C’était fait par des comités d’hommes qui n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient et ne savaient pas de quoi ils parlaient ! »

Heureusement, les temps changent. Très lentement, mais quand même… Aujourd’hui, si un politicien fait une remarque sexiste, c’est une tache à son dossier qui risque de le suivre. Même chose pour une remarque homophobe. Parce qu’il y a eu des luttes pour les droits des femmes. Parce qu’il y a eu des luttes pour les droits des LGBTQ+…

Mais les migrants en situation de grande précarité ne sont pas en position de se battre pour leurs droits. De crainte d’être expulsés, ils ne se plaignent pas même lorsqu’ils sont exploités. En mode survie, ils attendent juste que ça passe. « Et ça fait bien l’affaire des employeurs que ces gens remplissent cette fonction économique. »

La situation n’est pas propre au Canada. Partout dans le monde, on trouve un sous-prolétariat de migrants sans papiers ou ayant des statuts très précaires qui sont exploités, rappelle François Crépeau.

Comme je l’évoquais dimanche, la solution n’est ni de fermer la porte aux migrants du chemin Roxham ni de fermer les yeux sur leur exploitation.

À court terme, il faut accueillir ces demandeurs d’asile dignement. Investir dans l’accueil, dans le logement social et dans la francisation afin de permettre à ces gens de contribuer à la société le plus rapidement possible – sans être exploités, il va sans dire.

Car ne serait-ce que d’un point de vue économique, il s’agit là d’un investissement payant pour les sociétés.

À long terme, la solution passe par le Pacte mondial sur les migrations – le premier accord global des Nations unies ayant une approche commune sur les migrations internationales dans toutes leurs dimensions. Le pacte, ratifié fin 2018, vise notamment à faciliter la mobilité et à appliquer le droit du travail à toute personne, peu importe son statut migratoire.

François Crépeau, qui a lui-même participé à la première phase de son élaboration, souhaite que le Pacte mondial soit comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. « C’est-à-dire qu’il soit le point de départ d’une grande révolution culturelle. On est toujours en train, 75 ans plus tard, de développer cette Déclaration universelle. Le mouvement #metoo sur le harcèlement sexuel, par exemple, est aussi un développement de la Déclaration universelle sur l’égalité, la dignité… »

De la même façon qu’il a fallu du temps pour que les droits « de l’homme » incluent vraiment les droits de la femme, il en faudra aussi pour qu’ils incluent vraiment ceux des personnes migrantes.

« Ça va se faire. Mais ça va se faire sur plusieurs générations. »

En attendant…

De nombreux lecteurs m’ont écrit à la suite de ma chronique de dimanche pour me demander plus concrètement ce qu’ils pouvaient faire pour venir en aide aux demandeurs d’asile. Plusieurs ont été inspirés par l’initiative de Danièle, cette infirmière à la retraite de Brossard qui prend sous son aile des familles de nouveaux arrivants rencontrées par l’entremise de Refugee Claimant Donations Montréal – un groupe Facebook qui permet de jumeler des gens qui veulent faire des dons avec des demandeurs d’asile dans le besoin.

Outre ce groupe, un autre bon point de départ est le Collectif Bienvenue, né à Montréal en 2017 d’une initiative citoyenne semblable à celle de Danièle lorsque plus de 25 000 personnes étaient arrivées au Québec en quête de refuge. Des bénévoles s’étaient mobilisés pour aider des familles demandeuses d’asile, souvent réduites à dormir à même le plancher, à se meubler.

Un an plus tard, ces initiatives individuelles se sont transformées en un très beau projet collectif : un OBNL dont la mission principale est de mobiliser la communauté montréalaise afin d’apporter une aide immédiate aux demandeurs d’asile les plus vulnérables.

En cinq ans, ce sont plus de 8000 personnes, dont 4500 enfants et 600 femmes enceintes, que le Collectif Bienvenue a réussi à soutenir. Chaque semaine, il est en mesure d’aider une douzaine de familles à s’installer.

« Nous nous concentrons sur les familles en situation de grande précarité », me dit Melissa Claisse, porte-parole du Collectif Bienvenue. Mais faute de « bras » et de ressources suffisantes, on n’arrive pas à répondre à toutes les demandes d’aide.

Ces jours-ci, l’organisme, qui vient de lancer sa campagne annuelle de financement, a particulièrement besoin de bénévoles avec de « bons bras » pour monter à bord de son camion et faire la livraison et la cueillette de meubles. Mais les citoyens avec de « petits bras » et un grand cœur sont bien sûr aussi les bienvenus.

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